#90 Transatlantique sud dernier épisode, arrivée au Brésil, Jacare
#90 Transat sud partie 7
10 avril, nous y sommes, dernière journée de navigation, le Brésil est maintenant à moins de 70 milles, ce soir nous serons à Jacaré ! Nous aurions voulu faire mieux que les 134 milles effectués depuis hier pour atterrir plutôt en milieu d’après-midi mais les grains, qui nous ont, pour la plupart, épargnés, n’ont pas cessé de faire varier le vent. Outre ces zones de perturbations bien représentées par de belles masses orangées sur l’écran de notre radar, d’autres signaux intrusifs de plus en plus nombreux, souvent rattachés à un témoin AIS, confirment ce que nous savions déjà, la présence de cargos et pêcheurs à l’approche des terres ! Mais pour l’instant, il n’y a qu’eux et surtout notre carte qui nous garantissent que le pays de la caïpirinha est bien devant nous, car nous ne voyons pas l’ombre d’une silhouette jusqu’à 10 milles de l’arrivée !
Pour clore en beauté cette traversée, un espadon voilier d’au moins dix kilos, encore tout surpris de s’être fait prendre par un tube de dentifrice, vient d’être remonté à bord …
11 avril, de l’eau, rien que de l’eau, de l’eau de pluie, de l’eau de là-haut ! Cela fait des mois que nous n’avons eu autant de pluie ! Des trombes d’eau se sont déchainées sur le pont de Black Lion, dessalant tout, rinçant tout, remplissant nos cuves jusqu’à en déborder ! Que c’est bon après une telle navigation de jouir d’un tel luxe, que la nature est bienveillante ! Le déluge a commencé à l’entrée du Rio Paraiba, lorsque la luminosité en avait fini de retenir un semblant de clarté et que notre sondeur, encore sous le choc des grandes profondeurs, s’est mis à divaguer ! Il ne restait plus, dans ces conditions qu’à faire confiance à Navionix et en notre bonne étoile pour rejoindre à 5 milles en amont de la rivière notre point d’ancrage !
C’est sous cet aspect que nous avons abordé au bout de 23 jours et 15 heures la côte Brésilienne !
Implantée sur la rive qui longe la petite ville de Cabedelo, c’est à la marina de Jacaré près de João Pessõa que nous aurions bien voulu mettre pieds. J’aspirais peut-être à croire qu’en trois semaines, les choses auraient pu changer et que nous serions les bienvenus sur le continent sud-américain, mais à l’évidence, l’agent infectieux mutant du moment n’était pas là pour arranger nos petites affaires et les initiatives gouvernementales, disposées à laisser entrer les touristes, sans restriction, par voies aériennes, semblent apporter moins de crédit aux voyageurs sous quarantaine d’une transat ! Restait alors, trois options, celle de prendre un billet d’avion, sortir quelques jours du pays pour qu’au retour, un visa de trois mois nous soit d’office attribué ; escaler sur notre ancre, nous faire discret et prendre le statut de clandestin le temps de visiter ou juste nous octroyer un transit de deux, trois jours et poursuivre notre route vers la Guyane ! N’étant pas aventureux jusqu’au point de défier les autorités et limitant les dépenses inutiles, le choix de continuer en remontant vers le nord nous a semblait le plus judicieux. Sous cette préférence, nous pouvions prétendre à titre impérieux, de nous reposer et nous faire ravitailler. De cette bonne excuse, nous aurons au moins le goût du Brésil, avec les 6 bouteilles de Caïchaçça qui viennent de nous être livrées !
Entraînées par le fort courant du Rio, et aidées par une faible brise, les voiles bleues de trois embarcations locales glissent sur notre bâbord, s’éloignent et vont se confondre aux fourrés impénétrables des mangliers. De l’autre côté, là où l’homme s’est approprié le rivage, un village consent à faire résonner quelques notes de samba, le sifflement d’un train retenti et quelques barques de pêcheurs vont déposer leur filet. En cherchant dans nos souvenirs, nous nous remémorons cette escale passée devant un verre de Caïpirinha…
13 avril, six heures trente, mon capitaine vient d’hisser la grand-voile ! Le flux de la marée descendante va nous propulser vers l’extérieur. Je n’ai pas un moral de folie aujourd’hui, peut-être la fatigue malgré tout et la désillusion de cette brève étape, rien de sérieux, juste une petite mollesse passagère que mon Tchoupi sait me faire oublier rapidement ! Toutefois cette pause nous a fait du bien, et nous a permis de checker notre Blacky, repartit pour plus de 1300 milles jusqu’en Guyane, à moins que nous puissions stopper à Galhinos ou Lençois plus nord.
Pour éviter au mieux les pêcheurs évalués nombreux le long de la côte, nous nous extériorisons jusqu’à atteindre la route des cargos à environs 15 milles. Il est 16 heures, après quatre heures sous spi, vent est-sud-est, 12 nœuds, nous glissons à 8 nœuds sous genak et grand-voile. Le ciel est couvert, la nuit s’annonce pluvieuse…