#1 Crossing Indian Ocean-Traversée de l’océan Indien- Episode 1 Thaïlande-Sri Lanka
"IL NE FAUT JAMAIS DIRE JAMAIS - OCÉAN INDIEN
2 mars 2020, 7 heures 35, heure locale dans la baie de Chalong, mon capitaine vient de donner le top ! Black Lion frétille de gauche à droite pendant que la chaine remonte. L’ancre pleine de cette vase collante si coutumière des mouillages du coin vient de se positionner sur son davier. Les moteurs nous maintiennent face au vent le temps d’hisser la grand-voile mais la manœuvre qui se veut relativement simple se complique quelque peu ! Il y a blocage ! L’indentification est rapide, un des réas de la poulie de prise de ris vient subitement de déclarer forfait et l’abandon de sa fonction provoque un tiraillement au niveau de la chute de la GV. En soit, rien de grave mais sérieusement pourquoi aujourd’hui ? Ah si nous avions toutes les réponses aux mystères du bateau !
Nous voilà donc sur notre cap 270º, la brise est légère, 5 nœuds à peine, c’était prévu, elle ne devrait d’ailleurs pas forcir beaucoup plus durant plusieurs jours, au mieux 10 nœuds nous pousserons trois quarts arrière. Pour être franche, moi qui aime pourtant bien quand Black Lion galope, appréhender l’Océan Indien dans ces conditions me conviens totalement ! Faut-il être un peu maso ! Nous qui nous étions dit, « l’océan Indien, plus jamais ! ». Serait-ce l’appel du large, le besoin d’adrénaline ou simplement l’obligation de son passage pour refaire un tour du monde ? Dans tous les cas, nous nous y replongeons et pour tout avouer, l’excitation que nous avions il y a 7 ans quasi jour pour jour ressemble plus cette fois-ci à une impatience anxieusement confiante ! Impatience dut à notre sédentarisation Asiatique de plus de six mois et à notre irrésistible besoin de découverte, anxiété (vous savez, celle qui se manifeste avant un examen et fait aller quatre fois aux toilettes !), celle-ci est relative à notre vécu avec ce géant de soixante-quinze millions de kilomètres carré autrefois appelé mer des Indes et confiance lié incontestablement à notre fier navire. Durant les dernières semaines, nous l’avons choyé notre lionceau ! Il se devait d’être prêt comme un athlète, parait à toutes éventualités. Alors, nous l’avons bichonné, nous avons pris le temps de l’inspecter avec minutie des fonds de cales à la tête de mât et de consolider ses faiblesses détectées par la prévoyance de Cyril.
"Laem Phromthep", le grand bouddha de 45 mètres installé au sommet de la colline de Phuket nous tourne le dos, c’est bon signe, nous faisons route vers l’ouest ! Face à nous, à 1022 milles Trincomalee, notre port d’atterrissage au Sri Lanka. À allure de croisière moyenne nous pourrions projeter une arrivée en une semaine mais les prévisions de vents des jours prochains vont certainement prolonger la navigation. Qu’il en soit ainsi, si la traversée est aussi délicate que nos premiers milles, notre isolement océanique peut durer. Là, bien entendu, nous sommes dans l’illusion, espérer une navigation de plus de deux milles kilomètres homogènes du début à la fin relève de l’utopie ! Ce qui n’empêche évidemment pas de rêver ! Et c’est à ce moment précis qu’intervient un bouillonnement pyramidal dans lequel Black Lion se fait brasser généreusement ! Exactement le même phénomène que nous avions rencontré en 2013. Sur des hauts fonds de deux cents mètres, apparaissent nettement des nervures agitées d’environ 500 mètres de large. Finalement ces courants doivent être propre au caractère de ce golfe du Bengale. Heureusement le vent est faible et les reprises de nos musiques préférées sur notre sono du bord apaisent les ballotages intermittents qui ne durent que quelques minutes. Entre ces segments mouvementés, la mer est d’une platitude exemplaire. Il est 18 heures 30, le traceur nous annonce une distance parcourue de 45 milles, les couleurs rosées du crépuscule nous enveloppent, flegmatiquement nous voguons…
3 mars, nous avons beau avoir quelques milles dans notre sillage, la première nuit d’une grande traversée fait toujours surgir en nous un mélange étonnant d’angoisse et de jouissance ! Comment expliquer cela ? C’est un peu comme une crainte obligée avant d’accéder à plusieurs jours de liberté océane. Face à la nuit qui falsifie nos repères et nous plonge dans une nébuleuse sphère, nos esprits ont une prodigieuse faculté à imaginer les dangers plausibles et le trac s’installe ! Puis l’adaptation aide à relativiser, les spectres se dissipent et nous nous...